UN COMPORTEMENT TECHNIQUE INATTENDU
DANS L'ACHEULÉEN AFRICAIN, IL Y A UN MILLION D'ANNÉES

 

Une équipe franco-marocaine[i] de chercheurs et chercheuses de l’Université Paul Valéry - LabEx ARCHIMEDE, du CNRS et de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat (Maroc) vient de décrire un comportement technique jusqu'ici inconnu dans l’Acheuléen ancien africain. Des petits galets en silex d’une longueur maximale de 6 cm ont été fracturés volontairement avec une technique particulière dite « bipolaire sur enclume » pour produire de petits éclats très allongés. Cette production en silex coexiste dans le site Acheuléen L1 de la carrière Thomas I à Casablanca (Maroc), daté vers un million d’années, avec une production d’objets en quartzite de grandes dimensions. L’étude, qui vient de paraître dans la revue Scientific Reports, apporte des éléments importants sur la diversification techno-économique de l'Acheuléen ancien africain et montre toute la flexibilité du savoir-faire technique et les capacités d’innovation des hominines de la fin du Pléistocène inférieur face à leurs besoins.

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La capacité de produire de gros outils tranchants et contondants est considérée comme le marqueur technologique de l'Acheuléen et l'indicateur d'une plus grande complexité technique par rapport à l'Oldowayen. Si la production de petits et moyens éclats est avérée dans ces industries, les « bifaces » iconiques ont cependant capté l’attention des chercheurs plus que tout autre objet. Notre connaissance des systèmes de production des éclats de petites et moyennes dimensions s’en trouve par conséquent très limitée et en particulier à partir de 1 Ma, lorsque la manufacture de bifaces et hachereaux devient intensive partout en Afrique jusqu’aux régions côtières de l’Extrême Maghreb.

L’Acheuléen le plus ancien connu au Maroc a été découvert dans la région de Casablanca, dans les dépôts dénommés L de la carrière Thomas I (ThI-L1), fouillés systématiquement depuis 1985 par une équipe franco-marocaine. Ces strates ont livré un riche corpus lithique associant objets taillés et produits de façonnage, galets naturels et restes fauniques. L’objectif principal était la manufacture de Large Cutting Tools (outils triédriques, bifaciaux et hachereaux) sur de gros galets et blocs de quartzite collectés à proximité immédiate. L’assemblage comporte également des sphéroïdes et sub-sphéroïdes, une large variété de polyèdres, des nucléus centripètes et discoïde et de nombreux percuteurs en quartzite.

Dans le même niveau archéologique, les chercheurs et chercheuses ont découvert une industrie en silex produite à partir de très petits galets. Une partie de ces objets caractérise une production d’éclats à tendance laminaire (éclats dont la longueur est presque le double de la largeur) par une technique bipolaire sur enclume (à l’aide d’un percuteur dur, détachement d’éclats à partir d’un galet de silex posé sur un bloc de roche immobile). Dans les premières technologies, l’adoption de cette technique a été expliquée comme la solution la meilleure pour exploiter de très petits volumes de matière première mais parfois aussi considérée comme une technique utilisée par des tailleurs moins « habiles ». Mais ici, la technique bipolaire sur enclume utilisée nécessite des connaissances géométriques et des compétences techniques jusqu'à lors inédites dans l’Oldowayen et l’Acheuléen.

Cette production d’éclats à tendance laminaire dans l'Acheuléen africain est la plus ancienne connue et est associée, dans le même niveau archéologique, à la fabrication de Large Cutting Tools (principalement des pièces trifaciales, bifaciales et des hachereaux). Elle apparaît de façon épisodique à la fin du Pléistocène inférieur et n'est suivie d'aucune autre production similaire pendant 500 000 ans, jusqu’à celle de lames standardisées dans la partie inférieure de la Formation Kapthurin au Kenya. La première apparition de nouvelles stratégies techniques, bien que sporadique, est importante non pas parce qu'elle indique des compétences cognitives plus complexes, mais parce qu'elle démontre que le savoir-faire technique très flexible et les stratégies techno-économiques des homininés de la fin du Pléistocène inferieur étaient beaucoup plus diversifiées que la simple production d’outils volumineux dans laquelle on l’a trop longtemps cantonnée.

[i]Le programme de recherche franco-marocain Préhistoire de Casablanca est développé et soutenu conjointement par l’Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP) du Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports – Département de la Culture du Royaume du Maroc, par l’Université Paul Valéry de Montpellier et par le Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères. Ce programme est également financé par le Department of Human Evolution du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig (Allemagne) et par le LabEx Archimede (ANR-11-LABX-0032-01) –programme Origines. Le programme a bénéficié du soutien de la Région Aquitaine et d’apports du Collège de France, du Muséum d’Histoire naturelle de Paris et de l’Université de Bordeaux.

 

Références :

Rosalia Gallotti1,2,*, Abderrahim Mohib3, Paul Fernandes2,4, Mohssine El Graoui5, David Lefèvre1, Jean-Paul Raynal2,6 (2020). Dedicated core-on-anvil production of bladelet-like flakes in the Acheulean at Thomas Quarry I - L1 (Casablanca, Morocco). Scientific Reports

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ABSTRACT

The ability to produce large cutting tools (LCTs) is considered as the technological marker of the Acheulean and the indicator of a greater technological complexity compared to the previous Oldowan. Although Acheulean techno-complexes are also composed of a concurrent core-and-flake technology, the iconic handaxes have attracted more attention than any other lithic component. Consequently, little is known of the small and medium-sized flake productions (small flaking), especially starting from one million years, when handaxe and cleaver manufacture becomes intensive and widespread across Africa, including the Atlantic coastal regions of Morocco. Research at Thomas Quarry I yielded a rich early Acheulean lithic assemblage, mainly composed of quartzite LCTs and small flaking, together with a small-sized flint production. Here, we report a particular aspect of this flint assemblage, i.e. a flint bladelet-like flake production. This process represents a discrete technical behaviour among those related to small flaking both in quartzite and flint: pebbles were flaked using the bipolar-on-anvil technique repeatedly employing a specific method to produce bladelet-like flakes. This production represents the oldest dated occurrence of bladelet-like technology in Africa and reveals technical competencies hitherto unknown for these periods, providing further elements for the techno-economic diversification of the African Acheulean.

1Université Paul Valéry Montpellier 3, CNRS, UMR 5140 Archéologie des sociétés méditerranéennes, Campus Saint Charles, 34199 Montpellier (France)

2Université Bordeaux 1 UMR 5199 PACEA-PPP, Bâtiment B18 allée Geoffroy Saint-Hilaire CS 50023 F - 33615 Pessac Cedex (France)

3Centre d’interprétation du Patrimoine du Gharb, Direction provinciale de la Culture, Quartier administratif, Bd Mohamed V, Kenitra (Morocco)

4SARL Paleotime, 6173 rue Jean Séraphin Achard Picard, 38250 Villard-de-Lans (France)

5Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine, Madinat Al Irfane, Angle rue N°5 et rue N°7, Rabat-Institut, BP 6828, Rabat (Morocco)

6Department of Human Evolution, Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Deutscher Platz 6, 04103 Leipzig (Germany)

 

Contacts scientifiques :

Rosalia GALLOTTI
Archéologie des sociétés méditerranéennes
Université Paul Valéry Montpellier 3, CNRS, UMR 5140
Campus Saint Charles, 34199 Montpellier (France).
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David LEFEVRE
Archéologie des sociétés méditerranéennes
Université Paul Valéry Montpellier 3, CNRS, UMR 5140
Campus Saint Charles, 34199 Montpellier (France).
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