Un entrepôt d’époque gallo-romaine à Aspiran (Hérault)

C’est dans le cadre d’un programme de recherche consacré à l’économie rurale de la vallée de l’Hérault à l’époque romaine (CNRS-UMR 5140 ASM et LabEx ARCHIMEDE - Montpellier) qu’a été réalisée pendant l’été 2017, une fouille programmée au lieu-dit l’Estagnola à Aspiran, dans l’emprise d’un imposant bâtiment (S. Mauné, Q. Desbonnets, Y. Boulmis, Fl. Ortis et S. Corbeel).

Vue aérienne générale de la fouille 2017 de l’Estagnola à Aspiran, en bordure de l’Hérault. Cl. V. Lauras-LabEx ARCHIMEDE.

Cette opération financée par le Ministère de la Culture, le Conseil du département de l’Hérault et la commune d’Aspiran succède à une fouille, menée entre 2014 et 2016 par la même équipe, sur un atelier de potiers situé à quelques dizaines de mètres au nord. Les prospections pédestres et surtout les prospections électro-magnétiques réalisées en 2014 et 2015 par V. Mathé et A. Camus (Université de La Rochelle) ont permis de traiter une surface de plus de 5 ha à l’intérieur de laquelle ont été détectés les vestiges antiques.

 

On se trouve là sur la berge de la rive droite de l’Hérault, à moins de 700 m à l’est de la voie Cessero/Luteva/Condatomagos/Segodunum, dans une zone qui a bénéficié de plusieurs fouilles préventives ou programmées : atelier et villa de Saint-Bézard, ferme-auberge et atelier de Soumaltre pour ne citer que les plus proches. La position du site de l’Estagnola faisait supposer qu’il était en connexion avec d’éventuelles installations portuaires, celles-ci assurant le transbordement des marchandises pondéreuses, en particulier le vin conditionné en amphore, à la limite navigable amont du fleuve.

 

L’atelier a été actif entre le début des années 70 ap. J.-C. et a été abandonné après seulement quelques dizaines d’années de fonctionnement, vers 110/120 ap. J.-C.. Il produisait des matériaux de construction, des amphores vinaires Gauloise 4 et 1 ainsi que de la vaisselle à pâte claire, cruches et jattes/mortiers essentiellement. Les installations artisanales se répartissent sur une ligne de 120 m de long, parallèle à l’Hérault, distant de moins de 50 m. Au nord se trouvaient les bassins destinés au traitement de l’argile utilisée par les potiers.

Vue générale des bassins pour l’argile, en cours de fouille. Cl. S. Mauné- LabEx ARCHIMEDE.

Leur excellent état de conservation a permis de bien appréhender le processus de traitement de l’argile ainsi que le phasage des structures. Pas moins de quatre phases ont été mises en évidence, témoignant de l’évolution des besoins de l’atelier. Pendant ces quatre phases, la production d’argile fut importante et fait écho aux capacités de production élevées des cinq fours. Ces derniers se répartissent en deux groupes principaux, le dernier, le plus au sud étant associé à des constructions dont une semble s’étendre sous une maison contemporaine qui limite la fouille.

Vue générale des fours 3 et 4, en cours de fouille. Cl. V. Lauras-LabEx Archimede.

Le grand bâtiment exploré en 2017 se trouve sur la terrasse inférieure. Nous n’en connaissons que l’extrémité orientale.

 Vue générale du grand bâtiment fouillé en 2017. Cl. V. Lauras-LabEx Archimede.

De puissants murs périmétraux de 0,70 m de large dont la fondation descend à plus de 1m sous le niveau de circulation du chantier et qui sont renforcés par des contreforts enserrent un espace d’une largeur utile de 16,50 m, mis au jour sur une longueur minimale de 11,65 m (surface utile minimale : 192 m2). Les murs ont été construits avec des blocs de calcaire coquillier sommairement équarris, liés au mortier de chaux. Les contreforts d’1,10 m de largeur ont été édifiés avec d’imposants monolithes rectangulaires placés à la verticale. Dans l’axe des contreforts, à l’intérieur de l’espace ainsi délimité, ont été assemblés, à intervalles réguliers (4,50 m), des grands blocs formant des dès, le tout étant également maçonné au mortier de chaux et puissamment fondé. Ces piliers rectangulaires internes, alignés trois par trois dans le sens de la largeur du bâtiment constituaient à la fois des supports verticaux de charpente mais également des ancrages de poutres horizontales destinées à recevoir des solives formant un plancher. Le terminus post quem de cette construction, fixé au début des années 70 ap. J.-C., a été livré par le mobilier céramique (sigillée Drag. 37a et amphore Gauloise 4) piégé dans le comblement des tranchées de fondation.

Vue d’une partie des piliers de soutien du plancher alignés. Cl. V. Lauras-LabEx ARCHIMEDE.

Plusieurs grandes coupes stratigraphiques installées dans le bâtiment ont permis de mettre au jour les niveaux du chantier de construction initiaux, directement recouverts par les niveaux de récupération des murs et d’une partie des piliers. C’est ce recouvrement caractéristique, sans niveau de circulation lié au fonctionnement du bâtiment, qui indique la présence d’un vide sanitaire sous le plancher du rez-de-chaussée.

Une seconde phase, matérialisée par la mise en place d’une étroite construction à l’intérieur du bâtiment flavien (partie sud), après que celui-ci ait été en grande partie démantelé, a été mise en évidence. Sa datation se situe, dans l’état actuel des recherches, vers le milieu ou la seconde moitié du IIe s. A cette époque, il est probable que des fours à amphores et à tuiles, distincts de ceux fouillés entre 2014 et 2016, se trouvaient à proximité immédiate comme l’indique un dépotoir recouvrant les vestiges de cette construction. Une dernière phase de spoliation de deux des piliers antérieurs sur lesquels s’appuient les murs de cet état est ensuite attestée et intervient à une période indéterminée, postérieure au IIe s. La récupération d’un troisième dés a été commencée mais n’a pas été menée jusqu’à son terme.

 

Les caractéristiques du grand bâtiment initial ne trouvent pas d’équivalent dans l’architecture régionale rurale du Haut-Empire. Sa structure externe indique tout d’abord l’existence d’une élévation importante, d’au moins deux à trois niveaux. Surtout, son agencement interne, supports de plancher et vide sanitaire, renvoie au stockage de matière pondéreuse, qu’il fallait impérativement isoler du sol. Par ailleurs, même si sa longueur est inconnue, il est probable que nous soyons en présence d’un édifice rectangulaire s’étendant sur au moins 30 à 35 m de long puisque un mur maçonné a été détruit il y a une vingtaine d’année lors de la mise en place, sur la parcelle située immédiatement à l’ouest, d’une fosse septique. Enfin, l’absence de tout niveau de crue de l’Hérault sur les niveaux de circulation du chantier de construction confirme bien que le vide sanitaire n’était pas lié à la nécessité de se préserver d’éventuels débordements du fleuve mais bien plutôt d’assurer une bonne salubrité, une ventilation efficace ainsi qu’une isolation efficiente contre les nuisibles (insectes et rongeurs).

Vue générale du grand bâtiment fouillé en 2017 avec une proposition de son extension vers l’ouest. Cl. V. Lauras, DAO S. Mauné-LabEx ARCHIMEDE.

L’absence de niveaux de fonctionnement nous prive d’élément matériel qui auraient pu nous éclairer sur la vocation précise de ce bâtiment mais fort heureusement a été découvert, dans un niveau de démolition/remblai coiffant les vestiges, les restes d’une petite balance en bronze, de type libra, matérialisée par un fléau et deux petits plateaux circulaires dont les dimensions et en particulier le diamètre réduit de ces derniers, indiquent qu’elle était destinée à la pesée des monnaies, probablement d’or ou d’argent. La présence de cet objet particulier en ce lieu semble donc confirmer une fonction commerciale pour l’ensemble architectural dégagé. La « marchandise » entreposée ici était pondéreuse et lourde et nécessitait une surface de stockage au sol d’au moins 500 m2 par niveau. Par ailleurs, son volume impliquait vraisemblablement des transactions monétaires de grande valeur.

 

La solution de facilité serait de considérer que l’atelier de potiers et le bâtiment appartenaient à un même ensemble, ce dernier étant destiné à entreposer les amphores vinaires prêtes à être expédiées par le fleuve. Il faut, de notre point de vue dissocier ces deux ensembles et ne pas considérer qu’ils entretenaient des relations fonctionnelles en raison de leur seule proximité topographique. D’abord parce que dans l’hypothèse d’un complexe portuaire fluvial, plusieurs entités distinctes pouvaient cohabiter en un même lieu. Ensuite parce que le stockage des amphores, pleines ou vides peu importe, ne nécessitait pas un tel déploiement architectural. Enfin parce que les caractéristiques du bâtiment de l’Estagnola plaident en fait plus sûrement en faveur d’une construction destinée au stockage des grains, établie au plus près du lit de fleuve pour d’évidentes commodités de transbordement. La présence en ces lieux, d’un granarium, situé dans le secteur où la grande voie interprovinciale reliant le territoire des Rutènes au littoral de Narbonnaise centrale est proche du lit de l’Hérault, en un point de rupture de charge idéal, n’aurait rien de saugrenue. Des constructions de ce type, dont l’agencement interne était cependant marqué par la présence d’une série de murets parallèles rapprochés soutenant le plancher, ont été identifiées dans les Trois-Gaules et dans les Germanies, et tout récemment en Isère, à Panossa (fouille M. Poux et A. Borlinghi, Université Lyon 2). L’édifice de l’Estagnola ne présente pas ce type de compartimentage et pourrait signaler, si l’hypothèse avancée était la bonne, le recours à une autre mise en œuvre architecturale.

 

La question qui demeure en suspens est celle de la localisation des installations portuaires. Une tranchée profonde installée dans l’axe du bâtiment, a montré l’absence d’aménagement et de niveaux antique, révélant seulement la présence des niveaux alluviaux sur lesquels se trouve la construction antique. Cependant, l’angle sud-est de la construction n’a pas été exploré et des artefacts antiques se trouvent immédiatement au sud de la zone fouillée, à la surface de la parcelle, indiquant une extension du site dans cette direction. Peut-être que des infrastructures portuaires se trouvent là. C’est cette zone qui fera l’objet de nouvelles recherches à partir de 2018.